INFO GAMEBLOG. En exclusivité française, nous avons rencontré Hideo Kojima lors de l'E3 2016. L'occasion de revenir sur l'année difficile du créateur, son état d'esprit, sa tournée technologique avec Mark Cerny, l'annonce de Death Stranding, les liens l'unissant avec le monde du jeu vidéo en général et PlayStation en particulier...
Hideo Kojima, notre interview
Retrouvez l'ensemble des interviews Gameblog ici
Gameblog : En tant que homo ludens, vos derniers mois ont été particulièrement tumultueux...
Hideo Kojima : C'est vrai. Tout est allé très vite. En décembre dernier, quand nous avons fondé notre compagnie, Kojima Productions, nous avions si peu de place, juste quelques chaises, et mon ordinateur. Ni plus, ni moins. J'avais déjà Death Stranding en tête, mais rien de concret. Il nous a fallu du courage pour repartir...
Vous êtes reparti à zéro. Qu'est ce qui est devenu possible aujourd'hui, qui était impossible jusqu'à présent avec Konami ?
Pour être franc, ce n'est pas si différent. C'est vrai que nous avons dû repartir de zéro, mais nous avons gardé notre expérience. Voilà 30 ans que je fais ce métier, que je créé des jeux, et je souhaite continuer dans cette voie. Il n'y a donc pas eu trop d'ondes négatives. Après, c'est vrai que je peux désormais plus me concentrer sur l'aspect créatif et ça c'est un vrai bénéfice. Du coup, je crois que la plus importante différence reste que je n'ai plus à aller voir quelqu'un dès que je veux faire ou dire quelque chose, je me contente de le faire. J'ai gagné en liberté.
Pourquoi avoir choisi Sony en tant que partenaire pour le premier projet de votre nouveau studio, Kojima Productions ?
J'avoue avoir reçu de nombreuses offres. Mais pour notre premier titre, je voulais m'assurer que nous pourrions être dans les meilleures conditions. J'entretiens depuis longtemps une belle relation avec Sony, faites de confiance, ce qui me permet de me concentrer sur la partie créative. Travailler avec un autre partenaire aurait sûrement demander plus du temps sur des tâches annexes. Nous aurions pris du temps pour les contrats, et je ne pense pas que les choses seraient allées aussi vite qu'aujourd'hui.Travailler avec Sony m'a aussi apporté beaucoup de liberté, et leur soutien a été exceptionnel.
Vous pensez que ça aurait été différent avec un autre éditeur ?
Si cela avait été avec une compagnie "normale", actuellement, je serai probablement en train de préparer une présentation de mon jeu, nous serions en train de chercher les financements, d'expliquer ce que nous souhaitons faire. Comme pour un Kickstarter. Avec Sony, évidemment je leur ai expliqué ma démarche, mais ils m'ont tout de suite dit : "vas-y, fais ce que tu as à faire". Ils m'offrent leur confiance. Toute l'énergie que vous devez mettre dans la préparation d'un projet, j'ai pu la concentrer sur la création. Cela fait une vraie différence.
Chronologiquement, comment tout s'est déroulé ?
En décembre dernier, nous avons annoncé notre nouveau studio, Kojima Productions. A l'époque, nous n'étions que 4 personnes et nous tenions dans une pièce grande comme ça... (Hideo se lève, et montre un coin riquiqui de la pièce, environ 10m²). Je réfléchissais déjà au projet, mais en même temps il fallait trouver des locaux plus convenables, travailler sur le planning et le scénario de Death Stranding... En Janvier 2016, je suis parti avec Mark Cerny pour un tour mondial afin de trouver la technologie avec laquelle nous allions pouvoir avancer. Nous avions besoin d'un moteur graphique, de savoir quels outils nous allions utiliser... mais je voulais penser global. Je voulais aussi voir dans quel environnement de travail d'autres studios évoluaient, quel genre de cuisine ils mettaient à disposition des employés... nous avons référencé tout cela.
Pendant que je découvrais de nombreux moteurs, et réduit le nombre de candidats, Sony m'a montré ses studios de performance capture à San Diego. Nous n'en avions jamais fait jusqu'à présent, et j'ai demandé qu'on puisse réaliser un test au plus vite. Ils avaient un projet de prévu pour février, mais ils ont accepté de le mettre de côté, et à la fin du mois de mars nous avons pu réaliser une séquence avec Norman Reedus. Ensuite nous avions besoin de deux mois pour traiter les données et les affiner. En parallèle, nous menions des tests sur les éléments de jeu. Aujourd'hui, ça y est, nous avons enfin nos propres locaux. Bon, pour le moment, il y a surtout juste des bureaux, et nous sommes encore en train de fabriquer la cuisine... il nous reste maintenant à prendre notre décision définitive pour déterminer le moteur que nous allons finalement utiliser.
Le choix du moteur graphique n'est donc pas encore totalement pris ?
Non, mais nous avons vraiment réalisé une short list. Notre choix final est imminent, mais je préfère ne pas encore donner de nom. Une fois que cela sera fait, nous serons fin prêts.
Lors de votre World Tour technologique avec Mark Cerny, qu'elle est la chose la plus intéressante que vous avez apprise ?
C'est vrai que ce tour visait à en apprendre plus sur les technologies de pointe actuellement utilisées dans le monde... mais au final j'ai surtout appris à mieux comprendre les hommes derrière les technologies. Il ne faut jamais oublier que derrière les jeux, il y a des créateurs. Ce fut très instructif pour moi de découvrir plusieurs styles d'environnements de travail. Cela m'a fait réévaluer l'importance de cet aspect dans un processus créatif.
D'autant que vous avez été accueilli particulièrement chaleureusement...
Tout à fait ! Je ne sais pas comment exprimer ma gratitude. Tous ces studios étaient si occupés, et pourtant tous m'ont ouvert leurs portes, m'ont montré ce sur quoi ils travaillent, le tout avec une vraie générosité. Je leur en suis profondément reconnaissant !
Le trailer de Death Stranding développe un ton très sombre, et regorge de métaphores. Pouvez-vous nous aiguiller un peu ?
(sourire) Dès l'ouverture, vous pouvez voir des crabes, Norman, un bébé, des baleines... je ne sais pas si vous avez noté, mais ils sont tous connectés par une sorte de cordon ombilical. Vous avez vu aussi que Norman porte des menottes. Elles sont aussi connectées au reste. Il y a aussi des dog tags avec des inscriptions. De son côté, le logo "Death Stranding" a été designé par Kyle Cooper, les fils qui dépassent, ce sont des liens. En psychologie, le terme "strand" est justement utilisé pour décrire les liens qui unissent les individus, un individualité dans un tout. C'est l'un des principaux thèmes du jeu. Les liens entre les gens. Les connexions entre les humains et les animaux, les parents et leurs enfants, entre la vie et la mort, la Terre et l'espace seront au coeur de l'expérience...
On peut dire que vous aviez une sorte de "strand" avec Sony...
C'est exactement cela ! Cela fait plus de 20 ans que nous nous connaissons. En parallèle j'entretiens des liens forts avec Mark Cerny chez PlayStation depuis près de 15 ans, idem avec Kyle Cooper, et maintenant ces connexions existent avec Norman Reedus. Oui, ce genre de liens sera au coeur du jeu, mais aussi de la manière de créer ce projet avec l'équipe. L'année dernière a constitué un moment difficile dans ma vie, mais ce qui m'a permis de repartir de l'avant c'est le soutien de ces personnes, de mes amis comme Guillermo del Toro, de personnalités comme vous. Tout cela s'est affirmé lors du World Tour. Nous ne sommes rien sans les liens qui nous unissent, c'est eux qui nous rendent plus forts. Quand j'ai réalisé cela, je me suis dit que cela devait définitivement se retrouver au coeur du jeu.
© Ayako Terashima
La porte s'ouvre, quelqu'un entre dans la salle...
Ah voici, Keiji Yano !
Oui, Yano San, je vous ai vu dans d'étonnantes vidéos sur YouTube (rires)...
En effet, c'est un grand ami et il co-réalise le script de Death Stranding avec moi. Il a passé ses 25 dernières années à occuper un poste très haut placé dans le monde de l'édition. Mais avec ces "strands", nous travaillons ensemble désormais.
En parlant de liens, vous avez toujours mis de votre personnalité dans vos personnages. Il y avait du Hideo dans Big Boss. Je ne peux pas imaginer que ce ne soit pas un peu le cas avec ce nouveau héros, ce père en colère...
Je ne l'ai jamais fait consciemment... mais je dois confesser qu'il y a du vrai dans ce que vous dîtes. Ce n'est pas volontaire, mais j'injecte forcément de ma personnalité dans mes personnages. En revanche, je ne suis clairement pas aussi séduisant que Norman (rires).
Je tenais à vous remercier pour le message final que vous adressez aux joueurs qui vous accompagnent depuis 30 ans lors de la conclusion de Metal Gear Solid V. J'ai trouvé ça sobre et poignant...
Merci. Vous savez, en décembre dernier, j'ai senti que certains joueurs voyaient ce départ comme une conclusion. Comme si quelque chose s'arrêtait, mais ce n'est pas le cas. La raison pour laquelle j'utilise la phrase "I'll keep coming", c'est un symbole. C'est comme les vagues que vous pouvez voir dans le trailer. Elles refluent, pour mieux revenir. Inlassablement. Je suis toujours là.
Au fait, c'est Norman Reedus derrière le casque de la mascotte de Kojima Productions ?
Oh non ! Ce personnage n'est pas Norman... mais j'ai eu très peur juste avant l'E3, car je voyais beaucoup de joueurs décrypter l'image et déclarer : "oh mon dieu, c'est Norman Reedus !". Pendant un instant je m'étais dit que le trailer de Death Stranding avait fuité ! Mais non, définitivement, ce n'est pas lui !
Ces chroniques, interviews et dossiers vous intéressent ?
Devenez membre Premium pour nous aider à financer ce genre de contenus
et bénéficiez de nombreux avantages.